Le domaine des hortillons

Aires et rieux...

 

Les hortillonnages anciennement aménagés dans les marais de la Somme, en amont d’Amiens, sont principalement caractérisés par cette multitude de parcelles mises en culture, plus ou moins grandes, entourées d’eau, accessibles en barques grâce à un réseau de petits canaux – les rieux - et connues sous l’appellation « d’aires »

Cette appellation apparaît dès le XIIIème siècle, notamment dans des archives abordant la perception de la dîme (J. Roux, 1890)

Le moindre îlot de terre est cultivé ; les terres étaient amendées par l’apport de fumier ; les berges naturelles devaient être régulièrement entretenues et les rieux curés

 

Aires de la Neuville, vue prise du pont de l'Agrappin (Collection personnelle B. Bréart)
Aires de la Neuville, vue prise du pont de l'Agrappin (Collection personnelle B. Bréart)

La barque à cornet

 

L’hortillon possède au moins une barque (deux ou plusieurs en fonction de l’étendue de ses cultures). Cette longue barque si caractéristique dénommée « barque à cornet" (et que l’on retrouve sur toutes les illustrations du XIXème jusqu’à nos jours) présente un profil dissymétrique. Le « grand cornet » qui est la partie relevée, facilitait le déchargement des légumes sur le quai du marché sur l’eau.

 

Une idée encore fortement répandue !

Le cornet serait justifié peut-on lire (ou entendre) pour permettre aux hortillons  d’accoster les berges naturelles talutées certes fragiles des « aires » sans les endommager ! Une telle affirmation ne tient pas si nous observons la configuration des lieux et l'abondante iconographie fournie par exemple par les anciennes cartes postales du début du XXème siècle.

 

 

Source : Gérard Devaux, Les hortillonnages d'Amiens, CRDP, Amiens, 1984
Source : Gérard Devaux, Les hortillonnages d'Amiens, CRDP, Amiens, 1984

 

Cette barque mesure généralement 28 à 32 pieds de long (soit 9 à 10 mètres) et 1m.20 à 1m.30 dans la plus grande largeur. Elle est construite à partir de longues planches de chêne renforcées et reliées aux flancs par une série de traverses. Son fond présente une forme fusiforme.

 

Cette barque serait adaptée au transport des maraîchers, du matériel, du fumier et, bien entendu, des productions menées jusqu'au marché sur l'eau...

Elle est manœuvrée par l’hortillon – et l’hortillonne – à l’aide d’une longue perche de bois longue, de 3,50 m,  l’aviron, qui, appuyée sur le fond des canaux lui sert à pousser la barque,  ou encore avec une pelle en bois utilisée comme pagaie quand les fonds sont importants…

 

 


Au musée des hortillonnages (Rivery),

vous pourrez voir l'une de ces barques à cornet. Pièce maîtresse de l'exposition permanente, elle date de 1953 et mesure près de 10 mètres de longueur.

 


Le témoignage de Laetitia l'hortillonne (1893-1976)

 

"... on ne pouvait pas aller d’une terre à l’autre sans n’pas avoir un bateau ».

« C’est pour ça qu’on en avait des petits quelquefois, on ne sortait pas le gros, on ne ramassait pas de « marée » (marée : les légumes pour la vente au marché sur l’eau)

Il y avait des constructeurs spéciaux, ça coûtait pas cher : je me rappelle, on avait un petit ouvrier, not’ cousin Fernand Vachart ; ils l’avaient installé, ils lui ont donné je ne sais plus combien d’terres, et pis, ils lui ont fait faire un bateau, ben dans c’temps là, ça coûtait 300 francs le bateau (alors vers 1900). Et pis maintenant c’est combien ? Pour 150 000 francs, et on n’a pas grand-chose…(on serait alors dans les années 1970, avant le passage en euros)

 


Grâce au concours de l'université de Picardie, Florian Carpentier (installé à Pierrepont-sur-Avre) a envisagé de scanner en 3D la plus ancienne barque à cornet connue sur Amiens, datée de 1953, et conservée au Musée des Hortillonnages de Rivery. (Source: Bulletin "Le Chasse Marée", 2015, n°270, p.82)

 

 


Les activités maraîchères autour de 1900

Au musée des hortillonnages (Rivery)

L'exposition permanente est essentiellement axée sur la vie et les activités des hortillons de 1850 à 1950, période la mieux documentée par les archives et les témoignages...

 


Un aperçu des cultures au XIXème siècle...

 

Un document intéressant, daté de la fin du XIXème, est annexé à la publication de Th Rattel (1890). Il s’agit du plan d’ensemble d’une culture maraîchère et horticole située dans les hortillonnages de la vallée de la Somme près d’Amiens (communiqué par Me O. Legras, avocat à Rouen et daté du 26 avril 1889). Ce plan, étonnamment précis,  nous renseigne sur la répartition et la variété des plantations, sur le nombre de pieds, de mannes, de bouquets…. Légumes, plantes aromatiques, petits fruits rouges et fleurs sont judicieusement répartis

 

Sur ce plan manuscrit, daté de 1889,  étaient reportés précisément par les maraîchers, propriétaires ou locataires, le programme de leurs plantations pour l’année.

 

Ce document mentionne le nombre de « charges » et donc de récoltes : une à trois charges pour l’année. Il  nous donne quelques indications intéressantes sur la production et le prix que pouvait en tirer l’hortillon. Ainsi, concernant la pomme de terre Marjolaine : 18 rangées de 40 pieds l’une produisaient chacune 2 mannes à 1 franc 50 la manne.

Les salades (laitues, romaines ou scaroles) étaient vendues 0,05 pièce ; la botte de carottes 0,30, le chou-fleur 0,20 et le melon 1 franc. Concernant les fruits : 22 rangées de 16 pieds de fraisiers produisaient chacune 500 g. de fruits, valant 0,40 ; la manne de groseilles était vendue 0,60. Le chrysanthème rapportait 0,25.

 

Ce document précise enfin le nom et l’adresse des propriétaires, co-signataires du plan d’ensemble présenté : Aire donnant sur le chemin de halage de la Somme canalisée. Propriétaires : CRESSON Alfred, propriétaire maraîcher, rue de la Voirie, 105 / AZERONDE, rentier, ancien maraîcher, rue de la Voirie, 199 / TABOUREL E., horticulteur, membre de la Société d’Horticulture de Picardie, 233 rue de la Voirie / DOMONT, propriétaire maraîcher, faubourg St Pierre / CATLAIN, propriétaire maraîcher, rue des Granges, 33 / THUILLIER, rentier, ancien maraîcher, rue de la Voirie, 127 / MOUY, rentier, ancien maraîcher, rue du Marais, 7 / AZERONDE, commissaire local maraîcher à la Neuville-les-Amiens