Sur les origines des Hortillonnages...

Connaît-on vraiment les Hortillonnages ?

 

A en juger par ce que l'on peut encore lire dans certains guides (ou entendre au cours de visites commentées), on peut en douter...

 

Bien des idées reçues sont ainsi à corriger , comme celles émises sur les origines du site : Les hortillonnages auraient été aménagés par les troupes de César ! 

 

 

L’histoire des Hortillonnages reste à écrire. Puisse cette modeste contribution inciter les chercheurs, d’horizons divers, à s’intéresser à ce qu’il faut bien reconnaître comme étant un des éléments du patrimoine historique et culturel de notre région. 

 


Pour en finir avec César !

Photo B. Bréart
Photo B. Bréart

Certains guides touristiques ou publications récentes mentionnent encore une origine romaine pour la création de ces hortillonnages, allant même jusqu’à attribuer à César et à ses troupes l’aménagement de ces jardins. S’il est vrai que César et ses troupes ont bien séjourné dans les environs d’Amiens (les archéologues cherchent d’ailleurs toujours le lieu de ce séjour), on ne peut lui attribuer en aucun cas l’aménagement des hortillonnages.

 

Cette hypothèse serait recevable si elle était étayée par des témoignages que seule l’archéologie ou des textes antiques seraient en mesure d’apporter. De plus, se référer à l’étymologie latine du mot « hortillon » (« hortus » signifiant jardin) ne suffit certes pas à voir dans ces Romains, les initiateurs de ce système.

 

Il est vrai que la largeur de la vallée de la Somme où le fleuve développe ici de multiples bras, la présence des marais, des étangs, de l’abondante végétation et des multiples remaniements des terres (comme le curage régulier des rieux), n’ont guère offert aux archéologues de bonnes conditions d’observation. Malgré tout, nous disposons d’un inventaire précis des découvertes archéologiques. 

En marge des marais, ont été trouvées par exemple les belles stèles antiques de Longueau, la borne antique de Camon (qui se trouvait en face de l’auberge du Pré Porus et qui est aujourd’hui visible dans la cour du musée de Picardie), puis l’étonnante petite statuette de bronze phallique gallo-romaine (18 cm) : le priape de Rivery, représentant le dieu des jardins et des campagnes sous la forme d’un paysan gaulois.

 

Dans les marais mêmes, deux découvertes intéressantes sont à signaler : Il s’agit de dépôts monétaires datant de l’époque romaine, des cachettes faites en périodes de troubles. Ce phénomène est bien connu des spécialistes de l’Antiquité…Ces trouvailles ne peuvent à elles seules attester une occupation et encore moins une mise en culture des terres à cette période.

 


Le priape de Rivery (Priapus, protecteur des jardins et des campagnes)

 

Statuette en bronze d’une hauteur de 18 cm présentée au Musée de Picardie, découverte à Rivery en 1771 dans une sépulture à incinération (un coffre  carré de 0, 65 m de côté, formé de six pierres scellées par des agrafes en fer, placé dans un petit caveau)

 

« La statuette se compose de deux parties : la partie supérieure est amovible de manière à laisser apparaître un phallus. La figurine du dieu des jardins et des campagnes exprime un caractère sévère. Ses cheveux sont épais et frisés ainsi que la barbe qui est courte. Elle est couverte du cucullus, célèbre manteau gaulois à capuchon, qui cache les bras et tombe au-dessous des hanches. Ce vêtement est retenu par une bandelette qui passe sur les épaules et dont les extrémités retombent sous le noeud, presque aussi bas que le manteau. Cette partie supérieure constitue un couvercle sous lequel est caché un phallus. On voit sous ce premier vêtement une courte tunique. Les cuisses et les jambes sont nues, la chaussure est de l'espèce qu'on nomme caligae : des semelles de bois maintenues sous le pied par des courroies qui passent entre les deux premiers orteils pour rendre la marche plus assurée.

Le priape de Rivery est l'expression d'un culte païen au dieu de la fécondité et de la fertilité, identifié par les Gallo-Romains à Priapus, protecteur des jardins et des campagnes. L'intéressante mention, à la découverte, d'une dorure aujourd'hui disparue (il en reste d'infimes traces) accentue encore le caractère sacré de l'objet, tout comme l'odeur suave révélatrice de nards et de baumes, sans doute déposés dans les poteries. L'authenticité de la pièce ne semble pas devoir être mise en cause. Il aurait été trouvé, au vu des divers comptes rendus, dans une des tombes les plus riches d'Amiens…. » (Source : 


Une origine médiévale...

 

Il paraît plus raisonnable de faire remonter l’origine des hortillonnages à partir du Moyen-âge, période au cours de laquelle les historiens ont d’ailleurs observé une transformation des paysages ruraux avec la résorption des forêts, des landes et des marais. Ces derniers notent en effet, qu’en France, les terrains marécageux régulièrement inondables qui n’avaient guère attiré l’attention des agriculteurs antiques, étaient désormais mis au sec et cultivés.

 

Il est intéressant de noter que  Robert Fossier, l’un des médiévistes qui a le plus travaillé sur l’histoire de la Picardie, nous précise que la ville d’Amiens connaît en 1270 sa première apogée. Ce fait est à prendre en compte pour confirmer une origine médiévale des hortillonnages.

 

Les premiers indices d’une activité maraîchère apparaissent dans des écrits datés du XIIIème et XIVème siècle. Ainsi voyons-nous apparaître le mot « terre à aire » dans un texte de 1284 relatif à l’imposition (déjà !) des maraîchers : La dîme des terres à aire perçue en 1284 est de 4 livres au journal, plus de menues dîmes, par exemple « 13 années de pois, febres, oingonnette, fruits ».

 

Le mot « ortillon » dans les comptes de la municipalité amiénoise : La ville doit en 1389 restaurer les vergnes (les aulnes) de la « rue as Porées » rapidement mises hors d’usage « car y estoit le marquié as porées des ortillons et grant cantité de peuple y repairoit »…

 

Têtes sculptées (Illustration de N. Vivien)
Têtes sculptées (Illustration de N. Vivien)

Citons également la tradition amiénoise qui prétend que les fondements de la cathédrale ont été jetés, en 1220, sur le « champ des artichauts » donné par un couple d’hortillons. Si ce n’est qu’une légende, elle n’en reste pas moins un indice de l’existence de ces maraîchers dès le début du 13è siècle.  

 

Par contre, notons que les spécialistes nous apprennent que la culture des artichauts n'est attestée qu'à la fin du Moyen Age...

Têtes sculptées visibles à l'intérieur de la cathédrale d'Amiens (Photo B. Bréart)
Têtes sculptées visibles à l'intérieur de la cathédrale d'Amiens (Photo B. Bréart)

Quand les archives parlent ...

 

Le dépouillement des archives est un travail fastidieux. Pour les hortillonnages, ce travail a été engagé sérieusement par un jeune chercheur, Christophe Cloquier (1), et nous permet aujourd'hui de dresser un tableau faisant état des différentes sources permettant de reconstituer l'histoire du site.

Nous le livrons ci-dessous, sachant qu'un tel travail ne peut être considéré comme définitif...

 

(1) Cloquier Christophe (2007). "Les Hortillonnages d’Amiens : un site unique aménagé par une communauté de maraîchers au fil des siècles", in Travail et paysages, Actes du 127e congrès nat. des sociétés hist. et scient., Ed. CTHS, Collection Histoire, Nancy 2007.

 

XIIème siècle

XIIIème siècle

XIVème et XVème siècles

XVIème siècle


Pour le milieu du XVIème siècle, nous disposons d'un document exceptionnel : La ville d’Amiens et le cours de la Somme jusqu’à Camon, 1542. Plan sur parchemin coloré, 108x203, attribué à Zacharie de Célers, topographe et peintre de la confrérie de Saint-Luc d’Amiens (source A.D.S., 4 G 1266).

 

« Ce plan, le plus ancien d’Amiens, a été établi lors d’un procès entre la commune et le chapitre cathédral touchant la juridiction des eaux et des moulins possédés par ce dernier. Au-delà de ce conflit qui durera jusqu’à la Révolution, l’utilisation par la commune de sa situation géographique apparaît de façon remarquable : protégée par ses murailles des inondations comme des envahisseurs, Amiens tire sa prospérité du fleuve. Un système complexe d’écluses procure aux moulins la force motrice nécessaire. Entre les bras de la Somme, les hortillonnages, accessibles uniquement par barques, sont la source d’une riche production maraîchère. Gribanes et bateaux à voile sillonnent le fleuve, s’arrêtent sur le port et chargent les marchandises avant de prendre le chemin de la mer » (Source: A.D.S., 1996, catalogue p. 16).

 

Note : Une copie de ce document a été établie sur calque en 1950 par Marthe Damagnez (source A.D.S., 1 Fi Amiens 64).

 

Site web : http://archives.somme.fr/ark:/58483/a011353927000s8ALLT/1/1


XVIIème siècle

XVIIIème siècle

XIXème siècle


En 1898, un plan des Hortillonnages (31 x 61,5 cm) a été dressé par les services des Ponts et Chaussées dans le cadre d'un projet de syndicat (plan conservé aux Archives départementales de la Somme)

                                                                                               

Site Web: http://archives.somme.fr/ark:/58483/a011353926999LV7EBT/1/1